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Pervers narcissique et confinement - Getty Images

J’ai vécu avec un pervers narcissique et je compatis avec les victimes confinées

En ces temps de confinement, il est certes important de penser au personnel médical, ainsi qu’à tous les corps de métier qui doivent se rendre au travail pour que la vie continue un minimum et pour combattre cette crise du Covid-19. Mais aussi d’avoir une pensée pour ceux qui sont coincés chez eux avec une famille toxique. C’aurait pu être moi.

Je pourrais vous dire que j’ai dû supporter cette situation pendant 20 ans, mais en réalité, c’est beaucoup plus compliqué que ça. Quand on est enfant, quand on pense encore que nos parents sont des super-héros qui ne font jamais d’erreurs, qu’ils sont là pour nous protéger et nous aimer envers et contre tout, on ne se rend pas compte que la situation est en réalité anormale. Ce n’est qu’en grandissant que le problème devient plus réel, plus vif. Il n’y a pas de déclencheur.

« Mon père est un pervers narcissique et il l’a toujours été. Je n’en ai simplement pas toujours eu conscience »

Quand j’étais très jeune, mon père était mon héros. J’étais un vrai garçon manqué, je le suivais partout, je l’imitais, je m’habillais comme lui. On faisait beaucoup de choses ensemble : il m’a appris  à faire du vélo, je lui ai appris à faire du roller. Il était boxeur, sportif, et je sais qu’il aurait aimé que je suive la même voie que lui, mais j’ai hérité de la fibre artistique de ma mère, et je me suis rapidement intéressée à d’autres choses. Des choses qu’il ne pouvait pas comprendre, parce qu’il ne les connaissait pas : lire, danser, faire du théâtre, chanter… Au fur et à mesure, on s’est éloignés. Et c’est ça, je pense, ce qui lui a fait peur. Je m’éloignais de lui, vers une liberté qu’il ne voulait pas que je trouve.

Sous l’emprise d’un pervers narcissique

Un pervers narcissique est une personne toxique, qui a un besoin viscéral de maintenir sous son emprise les personnes de son entourage direct, en particulier ses enfants et son/sa partenaire. Pour ce faire, il utilise des moyens extrêmement difficiles à identifier par une personne extérieure à ce cercle direct : la soumission, les insultes, les accès de colère… autant de formes de violence psychologique qui peuvent parfois mener à de la violence physique.

Je n’ai pas été battue, sauf si l’on compte deux gifles espacées sur plusieurs années et un peu de brutalité. Mais je ne me réveillais pas le matin avec des bleus partout sur le corps, alors, sans doute que certains diront que je n’ai pas à me plaindre. Que mon père était simplement quelqu’un d’impulsif, de lunatique, qui ne parvenait pas à contrôler sa colère et ses émotions. Parfois, j’ai même entendu ma mère le défendre : il est fatigué, il travaille beaucoup, il a été maltraité pendant son enfance.

« Souvent, après ses accès de colère, il semblait avoir tout oublié. Il agissait comme si rien ne s’était passé. Et pour ne pas que ça recommence… on fait pareil »

Pervers narcissique et confinement - Getty Images

On aurait pu lui trouver une tonne d’excuses. La vérité, c’est qu’il n’y en a aucune. C’est juste anormal. Et c’est en grandissant qu’on se rend compte que la situation devrait être différente. C’est durant l’adolescence, quand on commence à comprendre, que ça empire. Parce qu’on ne se laisse plus faire comme avant, on ne se laisse plus crier dessus ou insulter pour un simple verre renversé sur la table. On se bat, on réplique, on veut prouver qu’on a raison. Mais il a toujours raison. Il est le père, la figure d’autorité, et par conséquent, on lui doit le respect, sans attendre une quelconque contrepartie.

« Un pervers narcissique prend toujours soin de faire le vide autour des personnes de son entourage direct. Ses enfants ont un minimum d’amis, son/sa partenaire n’en a presque pas. Il trouve des excuses pour les isoler, pour qu’ils s’éloignent eux-mêmes de ceux qui pourraient les aider. Il construit une prison invisible autour de ceux qu’il prétend aimer, et surtout, il fait tout ce qu’il peut pour qu’ils ne trouvent jamais la clé »

Il prend également soin de construire une façade extérieure, une part de sa personnalité qu’il ne montre qu’en présence d’étrangers à la famille. Collègues, amis, professeurs, agents de quartier, médecin traitant… tous, ou presque, sont dupés par sa générosité sans limite, ses sourires avenants et sa gentillesse. Il porte un masque pour conserver son emprise sur ses enfants et son/sa partenaire : pour que ces derniers ne soient jamais crus.

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Manipulation et sentiment d’impuissance

Quand j’ai décidé d’en parler à quelqu’un pour la première fois, c’était au psychologue du PMS de mon école. Et elle m’a dit :  « Pourquoi n’essaies-tu pas de lui en parler calmement ? De lui faire comprendre ? ». Je l’ai fait, Madame. Du moins, j’ai essayé. Mais il est impossible de discuter avec un pervers narcissique, car il manipule, il retourne nos mots contre nous pour que l’on se sente totalement impuissants, pour qu’on finisse par penser qu’on ne raconte que des conneries, que c’est de notre faute s’il agit ainsi.

Plus personne n’en a jamais reparlé. La psychologue du PMS n’est jamais revenue vers moi. Probablement parce qu’il a été difficile pour moi de mettre des mots sur ce que je vivais : parce que dire que mon père se met toujours en colère pour rien, dire qu’il me rabaisse, qu’il ne me respecte pas et qu’il m’empêche de voir mes amis, ce n’était pas suffisamment alarmant pour l’école. Eux, ce qu’ils attendent, ce sont des preuves. Ils attendent de voir des bleus sur mon corps ou mon visage pour agir. Le problème, c’est que mes blessures ne sont peut-être pas physiquement visibles, mais elles sont bien là. Elles seront toujours là, contrairement aux hématomes que provoquent des coups. Je ne veux surtout pas minimiser la violence physique, bien au contraire : je dis simplement que la violence psychologique est tout aussi dangereuse, car beaucoup moins visible et beaucoup plus difficile à prouver.

Quand, avec ma mère et mon petit frère, nous avons réuni suffisamment de courage pour nous enfuir, nous avons décidé de porter plainte. Nous avons reçu le soutien de collègues, d’amis et de membres de la famille. Et la police voulait des preuves. La police nous demandait ce qu’on voulait dire par « violence psychologique ». L’agent de quartier, qui connaissait mon père, ou croyait le connaître, a même tenté de convaincre ma mère de retirer sa plainte. Quand on est retourné chez lui pour prendre nos affaires, avec une assistance policière, il a montré patte blanche devant les agents : il était devenu doux comme un agneau. Mais dès que les policiers détournaient le regard, c’était un regard froid qui m’était destiné, et des mots murmurés :  « C’est de ta faute, tout ça. Tu es contente de toi ? ».

Pervers narcissique et confinement - Getty Images

Nous sommes confinés chez nous, et aujourd’hui, ma mère, mon frère et moi, nous sommes en sécurité. Nous sommes enfermés mais plus libres que jamais. Ce n’est cependant pas le cas de tout le monde.

« Beaucoup sont encore piégés, et doivent supporter, plus encore aujourd’hui que jamais, de vivre avec un être toxique dans le même appartement ou la même maison, et ce pour une durée indéterminée. A l’époque, j’avais des échappatoires : une liste d’activités extrascolaires longue comme le bras pour m’occuper et rester hors de la maison, par exemple. Et si ce confinement avait eu lieu il y a cinq ans ? En serais-je sortie vivante ? »

C’est pour tous ceux qui sont concernés aujourd’hui que je me pose la question, et que tout le monde devrait en faire autant. Si vous avez le moindre doute concernant quelqu’un de votre entourage, qui pourrait être concerné par une telle situation, je vous en prie, parlez-en. Ne les laissez pas seul. Agissez. Evitez-leur le pire.

Restez chez vous, mais surtout, restez en sécurité.

Besoin d’aide? La Fédération Wallonie Bruxelles recense ici les services d’aide aux victimes, mais vous pouvez également téléphoner au 02/542.14.10 (SOS Enfants) ou au 107, une ligne d’aide psychologique gratuite pour toute la Belgique francophone et accessible 24h/24.

Photos d’illustration: Unsplash / Verne Ho – Anthony Tran – Yuris Alhumaydy 

Bruxelloise de naissance et Liégeoise d'adoption depuis trois ans, cette étudiante en communication de 24 ans est amoureuse de musique et de lecture, et surtout avide de découvertes, encore et toujours !