Boulettes Magazine

Le magazine gourmand de découvertes
TOP
La polémique autour des réfugiés fait rage à l'espérance - Unsplash

Pourquoi l’Espérance ferait un excellent centre d’accueil pour réfugiés

Récemment vidée pour cause de transfert au Mont Légia, la clinique de l’Espérance, à Montegnée, a été envisagée par Fedasil et la Croix-Rouge pour accueillir un centre d’accueil pour réfugiés. Une nouvelle qui passe (très) mal, alors même que tout se prête pour une réhabilitation harmonieuse de l’ancien hôpital. 

C’est la pétition de la honte. Lancée par une certaine « Gwendoline D. » et recueillant déjà 1142 signatures au moment d’écrire ces lignes, elle milite « Contre l’ouverture d’un centre d’asile à l’emplacement de l’Espérance ». Et de souligner que « les habitants de la commune de Saint-Nicolas viennent d’apprendre avec stupeur que l’Espérance allait devenir un centre d’asile ». Argumentaire en défaveur du projet?

« Il est impensable d’avoir ce genre d’établissements aussi proches des habitations, le problème n’est pas le centre en lui même mais sa situation géographique qui n’est pas optimale!! »

L’Espérance dans la tourmente

Et les autorités communales semblent donner raison à cette dame ainsi qu’à ses cosignataires: ainsi que la Bourgmestre Valérie Maes l’a signalé dans un communiqué, « regrettant le manque de concertation de l’Autorité fédérale et s’indignant avec force d’être placé devant le fait accompli, le Collège ne peut que se montrer défavorable à un tel projet, inadapté aux lieux, irrespectueux de l’autonomie communale et ne répondant pas aux intérêts tant de ses bénéficiaires que de ceux du voisinage direct ». Et de s’autocongratuler au passage sur le « courage » nécessaire pour prendre cette décision.

« Cette position, courageuse en ces moments pénibles de confinement, n’est pas prise de gaité de coeur »

Lire aussi: Chez Yara, la savoureuse reconversion de réfugiés syriens

ℹ️ℹ️ 🌎🌍🌏⚠️ Le Collège communal de Saint-Nicolas a appris avec étonnement fin de semaine passée le projet de FEDASIL…

Publiée par Valérie Maes sur Lundi 6 avril 2020

Courageux, vraiment? Pour Nadine Lino, la créatrice de l’association d’aide aux migrants Live In Color, ce serait plutôt tout le contraire. « Je rêve ?? Saint-Nicolas /Montegnée? Ma commune d’origine, à majorité socialiste, dont la majorité des étrangers ou belges de 2 et 3e génération proviennent d’Italie, d’Espagne, de Pologne, du Maroc et essentiellement de Turquie aujourd’hui… Quelle mémoire ! En quoi un ancien hôpital n’est il pas UN ENVIRONNEMENT adapté ? Une vieille caserne militaire l’est sans doute mieux ? ». Un avis qui semble rassembler au moins autant que le camp des « anti », puisqu’en quelques heures seulement, une pétition « POUR l’ouverture d’un centre pour réfugiés sur le site de l’Espérance » a recueilli plus de 1600 signatures, réalisant au passage le souhait de son instigateur, Attilio, qui confiait vouloir par ce biais « prouver que les personnes favorables à l’ouverture sont beaucoup plus nombreuses que ses opposants. Saint-Nicolas est une commune hospitalière, montrons-le! ». Car oui, en février 2018, Saint-Nicolas a adopté la motion de commune hospitalière, « considérant que l’Europe et le monde traversent une période où les migrants sont de plus en plus considérés comme des menaces pour nos sociétés, où les réponses politiques choisissent d’ériger des murs plutôt que des ponts ». Sic.

« Les migrations forgent le monde »

Une motion visiblement lue en diagonale par certains membres du Conseil Communal, opposé aujourd’hui à ce que l’Espérance ne devienne un centre d’accueil, en opposition totale au texte adopté par la commune en février 2018. Extraits choisis:

« Les migrations ont forgé le monde et continueront de le faire, qu’elles soient choisies ou forcées (…) l’accueil des migrants n’est pas le seul fait des compétences fédérales, le vivre ensemble relève aussi de l’échelon le plus proche des citoyens que constitue la commune (…) les communes ont une marge de manœuvre pour permettre aux migrants d’être mieux accueillis et soutenus »

Mais encore « considérant qu’un meilleur accueil peut faire la différence dans le parcours d’intégration des migrants en leur donnant toutes les chances et leur permettant de faire partie intégrante de la vie locale ». C’était hier, et aujourd’hui, Valérie Maes choisit plutôt de mettre en avant l’irrespect de la population, l’impact du projet sur le quartier mais aussi « les coûts majeurs que feraient porter cette installation sur les finances communales ». Et la commune d’annoncer avoir désigné un avocat afin de défendre au mieux ses intérêts dans la foulée.

Lire aussi: Rocourt: la réponse d’une habitante aux critiques du centre FEDASIL

Entre fétichisme et hypocrisie

Une approche qui interpelle tant certains citoyens que les associations engagées sur le terrain, Migrations Libres ayant notamment signé une carte blanche pour la RTBF afin de dénoncer une décision qui témoigne « a minima, d’un fétichisme procédural – grossier au vu de l’enjeu – mais, plus encore, d’une véritable hypocrisie politique (non, Madame la Bourgmestre, cela ne tient en rien à du courage, comme vous avez osé l’écrire) ».

« Difficile de reprocher au fédéral de ne pas respecter l’autonomie communale, quand en tant que collège communal on ne respecte même pas ses propres engagements »

D’autant qu’ainsi que les supporters de la réaffectation le soulignent, l’argumentaire développé par le conseil communal est bancal. Coûts majeurs? « C’est bien la Croix-Rouge qui s’occupera du centre, et non les forces de l’ordre ». L’impact sur le quartier?

« La clinique de l’Espérance a accueilli des milliers de personnes chaque année, depuis plus de cent ans. L’installation de 200 ou 400 personnes sur ce site ne va nullement déstabiliser la ‘vie de quartier' »

Un argument qu’appuie Samuel Dufranne, conseiller communal Ecolo à Saint-Nicolas, rappelant que « notre commune a une riche et forte tradition d’accueil, d’ouverture et de multiculturalité ». Dont acte: ainsi que l’a souligné L’Avenir, sur les 24.263 habitants que compte Saint-Nicolas, près de 20% n’ont pas la nationalité belge.

L'Espérance devrait devenir un centre d'accueil pour réfugiés - Unsplash - Markus Spiske

De l’espoir pour l’Espérance?

Du côté de l’antenne liégeoise de l’ASBL liégeoise Pont d’appui, qui offre une aide juridique gratuite aux personnes sans papiers et en séjour précaire, on nuance les reproches de la Bourgmestre, qui regrette ne pas avoir été prévenue.

« Légalement, je ne suis pas au courant d’une obligation de Fedasil de prévenir la commune. Fedasil a pu négocier en direct avec le propriétaire du bâtiment, si c’est un propriétaire privé, il peut faire ce qu’il veut de son bien. Toute personne voulant mettre des locataires dans son bien est libre de le faire, et il n’y a pas d’obligation du fédéral de prendre contact avec la commune avant d’ouvrir son centre »

Et de souligner toutefois que « cela a plus de bon sens de le faire, et le projet a moins de risques de capoter après, mais on ne sait pas ici si la Commune l’a vraiment appris par voie de presse ou s’il y a eu un contact préalable ». Ce que les acteurs du secteur savent, par contre, et Emmanuelle Vinois, juriste pour Point d’Appui, le rappelle, c’est que la Belgique fait face à une situation d’urgence en ce qui concerne l’accueil des réfugiés.

« On a ouvert beaucoup de places pour faire face à la « crise » des demandeurs d’asile de 2015, puis le gouvernement fédéral a fermé 13.750 places d’accueil en 2016 et 2017 quand la situation s’est calmée, et a nouveau 7.000 places supplémentaires en 2018. Ces places ont été fermées en prenant des risques énormes basés sur la volonté de voir moins de personnes arriver sur le territoire, mais ce n’est pas conforme à la réalité »

Résultat: « nous sommes aujourd’hui face à une saturation des places d’accueil orchestrée par le fédéral, ce qui rend l’opposition au centre particulièrement dommage, d’autant que d’autres centres de ce type existent déjà en région liégeoise et que ça se passe très bien ».

Un point de vue que partage en tous points France Arets, figure de proue de l’engagement social en région liégeoise, fondatrice du CRACPE, et accessoirement, habitante de Saint-Nicolas depuis plus de 40 ans. Et si elle tient à préciser d’emblée que la posture adoptée par le Collège ne reflète pas celle de tous les citoyens de la commune, elle ne la condamne pas moins fermement pour autant.

C’est d’autant plus inexplicable qu’on sait que le réseau de centres d’accueils ouverts est saturé, que c’est un moment important pour accueillir ces personnes, d’autant plus en cette période de Coronavirus où l’ouverture d’un centre supplémentaire permet de diminuer la promiscuité et les risques pour la santé publique.

Et de prendre le temps de démonter un par un les arguments avancés par Valérie Maes dans son communiqué, à commencer par le fait de ne pas avoir été concertée, affirmation à laquelle France Arets oppose un doute prudent: « c’est possible qu’il y ait eu une tentative de concertation qui n’a pas abouti ».

Coûteuse, la réhabilitation de l’Espérance?

« C’est particulièrement faux, parce que les centres pour demandeurs d’asile sont entièrement financés par Fedasil. Le CPAS local n’aura absolument pas à intervenir, les soins médicaux étant pris en charge aussi. Sur le plan scolaire, les communes peuvent avoir droit à des subsides pour ouvrir des classes passerelles pour les primo-arrivants.

Ce qui est le plus choquant à mon sens, c’est la mention du coût pour la police, on se demande bien pourquoi: les demandeurs d’asile seraient-ils forcément des délinquants qu’il faut surveiller? C’est le plus interpellant dans tout ce communiqué, cela crée des idées xénophobes, on voit que l’extrême-droite déteint sur les positions du Collège communal de Saint-Nicolas ».

La « densité élevée »?

« Un argument tout à fait faux aussi, je ne vois pas ce que le fait d’avoir 200 personnes en plus changerait par rapport à ça, d’autant plus qu’ils s’installeraient dans un bâtiment existant. C’est un endroit où il y a déjà beaucoup de circulation, beaucoup de population, une population très mélangée à l’image de la commune, et quand la clinique fonctionnait encore elle recevait d’ailleurs un public très mélangé aussi ».

Un bâtiment pas adapté?

« Au contraire, il est tout à fait adapté d’un point de vue logistique, il y a des chambres, des sanitaires, de quoi installer une cuisine… La seule chose que certains pourraient dire c’est qu’il n’y a pas d’espace vert, mais il y a un très grand parking personnel derrière le bâtiment, et un autre pour les visiteurs, et on pourrait envisager de réaffecter en partie ces espaces ».

N’en déplaise aux opposants aux projets, qui choisissent de voir le verre décidément à moitié vide, sans prendre en compte les retombées positives pour la commune. « Un centre tel que celui-là crée pas mal d’emploi local, et ça, on n’en parle pas du tout » regrette Emmanuelle Vinois. « Toutes choses étant égal, un hôpital cause bien plus de nuisances niveau trafic et parking, donc si les riverains ont pu s’en accommoder, je ne vois pas pourquoi le centre d’accueil poserait problème, d’autant qu’ici, les personnes hébergées vont participer à la vie de la communauté ». À bons entendeurs…

Lire aussi: 

Photo de couverture: Unsplash / Katie Moun

 

Journaliste pour Le Vif Weekend & Knack Weekend, Kathleen a aussi posé sa plume dans VICE, Le Vif ou encore Wilfried, avec une préférence pour les sujets de société et politique. Mariée avec Clément, co-rédacteur en chef de Boulettes Magazine, elle a fondé avec lui le semestriel SIROP, décliné à Liège et Bruxelles en attendant le reste du pays.